vendredi 27 novembre 2015

43 Vous n’aurez pas ma haine - Par Antoine Leiris

Drapeau en façade hommage aux victimes du 13 novembre 2015
Hommage aux victimes du 13 novembre 2015
Photo : Pierre-Yves Gires
Hommage aux Invalides vendredi 27 novembre 2015 Miguel Medina
Hommage aux Invalides, le vendredi 27 novembre 2015
Photo : Miguel Medina / AFP pour Le Monde

Le journal Le Monde du 18 novembre 2015 a édité la lettre remarquable du mari d'une jeune femme tuée le vendredi 13 novembre. "Vous n'aurez pas ma haine", c'est la réponse d'Antoine LEIRIS aux terroristes qui ont volé la vie de son épouse Hélène, ce soir là au Bataclan, privant à jamais son fils de 17 mois, Melvil, de sa mère. On reste sans voix après la lecture de cette lettre digne autant que poignante qui  témoigne d'une grande force, d'une grande foi et d'un si grand courage…

Les terroristes 

n'auront "pas ma haine"

par Antoine Leiris, mari d'Hélène Muyal-Leiris


"Vendredi soir, vous avez volé la vie d'un être d'exception, l'amour de ma vie, la mère de mon fils, mais vous n'aurez pas ma haine.
Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes. Si ce dieu pour lequel vous tuez aveuglément nous a fait à son image, chaque balle dans le corps de ma femme aura été une blessure dans son cœur.
Alors, non, je ne vous ferai pas le cadeau de vous haïr. Vous l'avez bien cherché pourtant, mais répondre à la haine par la colère, ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j'aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu. Même joueur joue encore.
Je l'ai vue ce matin. Enfin, après des nuits et des jours d'attente. Elle était aussi belle que lorsqu'elle est partie ce vendredi soir, aussi belle que lorsque j'en suis tombé éperdument amoureux il y a plus de douze ans. Bien sûr, je suis dévasté par le chagrin, je vous concède cette petite victoire, mais elle sera de courte durée. Je sais qu'elle nous accompagnera chaque jour et que nous nous retrouverons dans ce paradis des âmes libres auquel vous n'aurez jamais accès.
Nous sommes deux, mon fils et moi, mais nous sommes plus forts que toutes les armées du monde. Je n'ai d'ailleurs pas plus de temps à vous consacrer, je dois rejoindre Melvil qui se réveille de sa sieste. Il a 17 mois à peine, il va manger son goûter comme tous les jours, puis nous allons jouer comme tous les jours et toute sa vie ce petit garçon vous fera l'affront d'être heureux et libre. Car, non, vous n'aurez pas sa haine non plus."
Note : ce message a été initialement publié sur la page Facebook de Monsieur AntoineLEIRIS, le 16 novembre 2015. 

Interrogé sur France Info, 

Antoine Leiris a expliqué sa démarche

"J'ai l'impression que c'est la meilleure réponse à donner : ils n'auront pas ce qu'ils cherchent. Je continuerai à aimer la musique et à sortir" dit-il. Avant d'ajouter : "Je continuerai à vivre parce que je ne veux pas que mon fils grandisse dans la haine, la violence ou le ressentiment."
"De toute façon, une grande partie de moi est partie avec Hélène ce jour-là, ce qui reste de moi est pour Melvil. Pour lui, je suis obligé d'oublier la haine, le ressentiment et la colère. S'il grandit là-dedans, il deviendra exactement ce que eux sont devenus : des gens aveugles, violents, qui préfèrent les raccourcis aux chemins plus complexes de la réflexion, de la raison, de la culture."
"Pour mon fils, je suis obligé d’oublier la haine, le ressentiment et la colère."

Garder les yeux ouverts

"Garder les yeux ouverts", comme les "grands yeux immenses d'Hélène", c'est ce que Antoine LEIRIS veut absolument transmettre à son petit garçon. "Je l'aiderai à garder les yeux ouverts sur la culture, sur les livres, la musique, quelle qu'elle soit, ouverts sur tout ce qui fait voir le monde par un prisme qui est à l'opposé de celui par lequel les terroristes le voient. C'est ce que sa mère lui a déjà laissé. Il aime déjà beaucoup la musique et les livres. J'espère lui donner les armes pour qu'il se tienne debout. Mais des armes de papier, de pinceaux, de notes de musique et pas des kalachnikovs."
Le temps passera et peut-être la méfiance, la peur ou la haine tenteront-elles de détrôner la raison, mais Antoine LEIRIS en est sûr : il faut "faire l'effort de choisir le chemin le plus complexe : celui de la réflexion, de la raison, du pardon. Celui de continuer à vivre. Peut être que demain j'en douterai et que je ferai des erreurs, mais au moins j'aurai ça en tête pour me guider."

Antoine Leiris et Hélène Muyal-Leiris, assassinée au Bataclan
Antoine Leiris et Hélène Muyal-Leiris
Photo : Christophe Abramowitz-RF - Montage : TPNN (USA)